Jiho : “La provocation fait du bien”
Né en 1958, Jiho commence son métier de dessinateur de presse par des dessins de cour d’assises pour la presse quotidienne régionale et à FR3. Mais il concentre ensuite ses activités dans la presse satirique écrite. Parmi de nombreux titres, il collabore à Marianne, SIné Mensuel et Lien Social. Il fait partie des dessinateurs présents sur le catalogue Iconovox, depuis sa création en avril 2006. Il a réalisé une vingtaine d’albums (Glénat, Albin Michel, Éditions Dervy, Dray éditions).
Le coronavirus vous inspire-t-il vraiment ?
Pour un hypocondriaque avec des tendances paranoïdes (je préfère parler de lucidité), tout ce qui tend à prouver que ma vision de la fin de notre monde est réelle m’inspire forcément.
La nature a beaucoup d’humour. Certes un humour noir, comme celui auquel je m’adonne, mais avec beaucoup plus de talent et de finesse que je ne saurais le faire. C’est totalement ironique – et réconfortant – de penser qu’un malheureux pangolin, en voie d’extinction, arrive à liquider plus de monde qu’il ne reste de ce petit mammifère sur cette Terre ; qu’il parvienne à mettre l’économie mondiale à genoux.
Pas marre de dessiner sur ce sujet ?
Il est omniprésent depuis bien plus longtemps que le mois de mars : Tchernobyl, Fukushima, Ebola, climat en vrac, nouveaux virus sur le marché avec la fonte du permafrost… En fait, le vrai virus, c’est l’humain. Corona est juste un anticorps de la planète. Il est urgent de réécouter « Aligator 427 » d’Hubert-Félix Thiéfaine.
Vos dessins traduisent parfaitement certaines préoccupations sociales. Pensez-vous que la pandémie va permettre d’ouvrir les yeux de certains sur les inégalités ?
Oui, le temps d’un battement de cils. Si l’humain avait dû changer, il l’aurait fait au lendemain de la première guerre. Je parle de celle du feu, avec des silex et des bâtons. Le logiciel est le même. En un siècle, on a eu deux guerres mondiales, plusieurs génocides ; les riches sont devenus ultra-riches… Si on avait dû ouvrir les yeux, ce serait fait depuis longtemps, non ?
Vous faites partie des quatre premiers dessinateurs à avoir cédé vos droits d’auteurs pour participer à une campagne sur Ulule au profit de la Fondation des Hôpitaux de France. Pourquoi cette initiative ?
Parce que si je déteste l’humanité, j’ai de l’empathie pour mes frères humains. Personne n’est parfait. Et puis je connais bien le milieu hospitalier, pour le fréquenter régulièrement. Le privilège de l’âge.
La provocation peut-elle faire bouger les lignes ?
La provocation ne sert qu’à énerver les abrutis et à réconforter les autres, ceux qui pensent comme toi. C’est aussi utile que de taper dans un punching-ball… Mais ça fait du bien.
Le rire doit-il être de « bon goût » ?
Je trouve le bon goût de très mauvais goût.
Vous vous présentez vous-même comme « dessinateur depuis le siècle dernier ». Vous constatez des changements dans votre métier ?
C’était mieux avant. Les « haters » et les complotistes étaient accoudés à leur bar. Les lecteurs savaient ce qu’ils achetaient et ce qu’ils trouveraient dans leur canard. Et puis il y avait le temps long. Aujourd’hui, tout est instantané. L’info arrive, le dessin ou le papier est en ligne aussitôt et on donne son avis, dans la foulée, on brûle ou on encense ce qui sera obsolète le lendemain. Bon, maintenant on a quand même Netflix…
Propos recueillis par Sarah Meneghello
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